3 ans Rezistans/Résistance : Entrevue avec Schneider Vertus

Par : Mardochée Gay, auteur / Poète / Étudiant en psychologie à l'UEH

À l’automne 2022 paraissait Résistance/Rezistans, un essai de l’auteur haïtien Schneider Vertus, qui interrogeait déjà les fractures, les luttes et les espoirs d’un peuple face à l’adversité. Trois ans plus tard, alors que l’actualité du pays semble donner toujours plus de poids au titre de son livre, nous avons voulu revenir avec lui sur ce parcours et sur sa vision de l’écriture. Dans cet entretien, Schneider Vertus répond à trois questions essentielles : la conception de l’écriture comme valeur universelle, la cause qu’il défend à travers ses œuvres, et les formes d’engagement possibles pour les écrivains haïtiens, même lorsqu’ils vivent à l’étranger.


Mardochée Gay : Certains auteurs comme Malraux par exemple conçoivent l'écriture comme une défense de valeurs universelles comme la fraternité, l'action, l'espérance, alors comment concevez-vous l'écriture?

Schneider Vertus : Pour moi, l’écriture est d’abord un acte de présence au monde. Elle est la manière la plus intime que j’ai pour dialoguer avec l’histoire, mes semblables et l’avenir. J’écris parce que je crois profondément que les mots portent une force de transformation : ils dénoncent, consolent, éclairent et parfois réparent.

Comme le rappelait Jacques Roumain dans Gouverneurs de la rosée (1944) : « La parole est un acte. » Ces mots résonnent en moi, car l’écriture n’est pas pour moi un simple exercice esthétique. Elle est une arme douce mais puissante, au service de la dignité humaine.

Et je rejoins Victor Hugo dans Les Misérables (1862) : « Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale… des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. » L’écriture doit défendre la mémoire, ouvrir des chemins de résistance et cultiver l’espérance.

M.G. : À travers les oeuvres engagées, l'écrivain met la littérature au service d'une cause, quelle est la votre? Qu'est-ce que vous défendez?

S.V. : Je veux entamer ma réponse par cette phrase de Victor Hugo dans Actes et paroles : « La liberté commence où l’ignorance finit. » 

Ma cause est d’abord celle d’Haïti et, par extension, de tout peuple qui lutte pour sa survie et sa dignité. À travers mes textes, je défends la liberté d’être et de rêver, le droit des générations futures à hériter d’un monde vivable et la nécessité de la solidarité entre les peuples.

René Depestre, dans Hadriana dans tous mes rêves (1988), a écrit : « La poésie n’est pas un luxe, elle est une nécessité vitale. » Je me considère ainsi comme un passeur de voix : celles des oubliés, des exilés, des invisibles. Je veux que ma littérature soit une lampe qui éclaire l’obscurité, un miroir qui force à regarder en face nos failles, mais aussi une main tendue vers la fraternité.

Et comme l’affirme Frankétienne dans Dézafi (1975) : « La parole poétique est une arme contre la mort. » Voilà pourquoi ma littérature se veut une défense de la vie et de la dignité.

M.G : En tenant compte du contexte actuel du pays où sa situation n'a jamais été pire à en croire les propos de la patronne de l'UNICEF Catherine Russel, en dépit du fait que vous vivez en déhors de pays, quelles formes d'engagement les écrivains comme vous peuvent-ils prendre?


S.V : C'est pour moi la question la plus difficile à répondre parce que je m'avais jamais imaginé laisser le pays dans de telle conditions.  

Toutefois, vivre en dehors du pays n’efface ni le lien ni la responsabilité. L’écrivain haïtien de la diaspora reste un fils de la terre natale. Selon moi, son rôle est multiple :Témoigner du réel et porter la voix d’Haïti au-delà de ses frontières ,créer des passerelles culturelles et intellectuelles qui permettent aux causes haïtiennes de trouver écho dans le monde, utiliser la plume comme un levier d’éducation, de mobilisation et de conscientisation.

Jacques Stephen Alexis, dans La belle amour humaine (1957), a déclaré : « Nous sommes les porteurs d’eau pour la soif de justice des peuples. » Ces mots rappellent que notre engagement ne se limite pas aux textes. Il passe aussi par des actions concrètes : encourager la lecture, soutenir des initiatives éducatives, contribuer à la mémoire collective.

Et je me souviens encore de Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal (1939) : « Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous d’asservir jamais. » Là où nous sommes, nous pouvons bâtir des ponts de solidarité et faire en sorte que l’écriture continue d’être une respiration pour le pays.

En guise de conclusion

À travers cet échange, Schneider Vertus demeure fidèle à l’esprit de son œuvre : inscrire l’écriture dans le sillage de la dignité, de la liberté et du bien-être collectif. Ses mots, teintés de rage, rappellent que la littérature haïtienne est, plus que jamais, un outil de résistance face à l'adversité.

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